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A bout de souffle

Projet réalisé en 2022 grâce au soutien de la grande commande photographique "Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire" portée par la Bibliothèque nationale de France et le Ministère de la Culture.

Terre des Hommes

Ce travail de Jean-Michel André pourrait s'inscrire dans ce que l'on appelle communément aujourd'hui la photographie “de l'après”. En somme, une photographie des conséquences, des séquelles et des traces d'un événement dans des lieux ou un territoire identifiés.

En l'occurence dans sa série photographique, le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais marqué par les guerres, la révolution industrielle, l'immigration économique, le travail des mineurs puis le chômage lorsque l'exploitation des mines cessa...

... Et de tout cela (qui appartient à notre histoire toute proche), des vestiges, des traces dans les paysages et les visages.

D'emblée, se pose la question de sa responsabilité en tant que photographe car Jean-Michel André n'ignore pas la complexité des rapports entre l'image photographique et la mémoire collective. En effet, comme l'écrit si justement David Campany, “la photographie peut-être l'auxiliaire de la mémoire, mais aussi faire obstacle à la compréhension du passé.”[1]

Ici donc, il y eut des vies de courage. De la solidarité et de la fraternité, des souffrances et des drames aussi. Mais de qui, de quoi les terrils, ces montagnes érigées par des hommes, sont-ils vraiment les traces... maintenant que tout est fini, passé ?

Et surtout, qui vit LÀ aujourd'hui ? Comment vit-on LÀ aujourd'hui ?
Quels possibles inventer dans cet après qui n'en finit pas de finir ?

Voilà les questions que Jean-Michel André se pose depuis son arrivée dans les Hauts-de-France en 2013 après avoir beaucoup “navigué” d'un pays, d'un continent à l'autre et, traversant des frontières, s'être laissé traverser par d'autres mémoires, d'autres cultures au fil de ses rencontres.

Au delà des réponses apportées par les institutions politiques, économiques et sociales, la photographie l'amène ailleurs. C'est à dire tout près, au cœur même du bassin minier.

Ce territoire, il l'arpente. Ces paysages, il en fait l'expérience. Une expérience concrète des lieux et des chemins qui nous sont devenus communs. De saison en saison, il approche les terrils, les chevalements, les centrales électriques, il s'égare dans les champs et marche dans les villages.

Neige de l'hiver, pluies du printemps, soleil de l'été, nuages de l'automne, il recherche la vibration de la lumière dans les paysages sans nostalgie ni concession. Chaque lieu, chaque moment a l'intensité du (re)nouveau. A l'image du saut de l'ange de Thibaut qui nous indique – tête en bas, pieds en l'air – à quel point il faudrait renverser la table, changer la donne et peut-être même... “effacer les traces” comme il est dit dans le premier refrain du Manuel pour habitants des villes de Bertold Brecht.

Ici donc, ni commémoration ni dénonciation... ni même remémoration. Être là. Être avec.

Faire face et faire surgir ce qui fait l'âme de ce territoire : une terre d'accueil où l'on vient, où l'on s'installe, que l'on traverse aussi. Un coin de France où l'âpreté de la vie s'adosse aux flans des terrils.

Ici, il y a des vies de courage dans cette terre des hommes.

Ils et elles s'appellent Lisa, Soraya, Laureen, Thibaut, Ali, Bernard et Ahmed. Et je peux l'écrire sans complexe : chacun de leur regard me va droit au cœur parce que Jean-Michel André fait d'abord et avant tout, droit à l'image — loin de la surcharge et des facilités médiatiques.

Car j'imagine que pour lui, faire surgir des images à la lumière du monde, c'est comme extraire du charbon de la terre : c'est un travail de fond, si je peux dire.

Jean-Baptiste Guey
 

[1] David Campany, " Pour une politique des ruines : quelques réflexions sur la " photographie de l'après " ", in L'image-document, entre réalité et fiction, Paris, Le Bal / Images en manœuvres, coll. Les carnets du Bal 01, 2010, p.48-67 ; traduction de : "Safety in Numbness", in Where Is the Photograph? David Green éd., Brighton, Photoworks/Photoforum, 2003.