Depuis la découverte du charbon en 1720, jusqu’à l’ère nouvelle initiée par l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2012, le Bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais a nourri de multiples récits historiques, politiques, littéraires, journalistiques et aussi sportifs ! C’est un territoire que je connais bien. Je l’arpente depuis mon arrivée dans les Hauts-de-France en 2013 par le biais de plusieurs collaborations.
Toutes ces rencontres m’ont donné envie de porter un regard personnel sur ce territoire et d’aller « au coeur du pays noir ». Là, où plusieurs générations ont perdu le souffle ; là, où leurs descendants peinent à le retrouver.
Grâce au soutien de la grande commande photographique « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », j'ai souhaité interroger la mémoire du Bassin minier et mener un travail documentaire sur les évolutions de ce territoire durement éprouvé par les crises et leurs dérives.
Légendes :
1- Le terril 74 situé à Loos-en-Gohelle est l'un des trois terrils de la fosse 11-19 des mines de Lens. Il s'agit d'un terril conique. C'est avec le 74A le plus haut d'Europe. Ces deux terrils jumeaux culminent à 186 mètres.
2- Vue des abords du terril 93 de Harnes.
3- Vue sur la base 11-19 de Loos-en-Gohelle. La fosse 11 a été mise en service en 1894. À partir de 1960, elle est rattaché au siège 19, qui est donc composé de deux puits : le 19 et le 11. Le chevalement métallique du 11, construit en 1925 s’oppose à la tour d’extraction du 19.
4- Vue depuis le sommet du terril 74 de Loos-en-Gohelle sur une partie des 110 hectares de terrils de la base 11/19.
5- Jeune homme à pied sur la route du Chemin de Vermelles, au pied du terril 93 de Harnes.
6- Cité minière numéro 5 de Grenay. Rue Arthur Lamendin. La cité n°5 fut construite pour les mineurs de la fosse n°5 de la Compagnie des Mines de Béthune. Il s’agit d’une très vaste cité pavillonnaire dont la construction a débuté en 1900 et s’est achevée en 1925.
7- Cité minière 1940 de Libercourt. Construite par la Compagnie des mines d’Ostricourt en 1940, cette cité pavillonnaire se distingue avant tout pour son environnement paysager. Dans chaque rue, des alignements d’arbres viennent conforter les qualités paysagères. La cité est composée de maisons jumelées regroupant deux logements, construites en briques, en parpaings de schiste ou recouvertes de béton gravillonné. L’architecture est sobre, les façades sont simples avec uniquement des linteaux droits en béton surmontant les ouvertures.
8- Portrait de Lisa réalisé à Grenay dans la cité minière numéro 5.
9- Vue sur une forêt de boulots, espace néo-naturel du terril 171. Le terril 171, dit Mare à Goriaux, situé à Wallers, est le terril plat de la fosse Arenberg des mines d'Anzin. Il s'étend sur près de deux kilomètres.
10- Vue sur une partie des 110 hectares de terrils de la base 11/19 de Loos-en-Gohelle. Prise de vue réalisée entre les terrils 74 et 74A.
11- Oie sur la route menant à l'ancienne fosse Ledoux à Condé-sur-l’Escaut.
12- Vue sur une partie du terril 144 situé à Rieulay et Pecquencourt. C'est un terril plat des fosses De Sessevalle et Lemay. Avec ses 140 hectares, il s'agit du terril le plus vaste d’Europe.
13- Chateau d'eau de Carvin, chemin de Willerval. Dans la mine, l’outillage à injection d’eau et l’arrosage des tailles nécessitaient des quantités importantes d’eau. Les Compagnies minières ont ainsi doté tous leurs sièges d’extraction d’un château d’eau pour fournir la quantité d’eau appropriée à leur consommation.
14- Maison abandonnée de la rue Gascogne à côté de la cité minière numéro 5 et du terril 58a de Grenay.
Signé le 7 mars 2017, à Oignies, l’ERBM (L’Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier) agit sur un large périmètre couvrant 8 intercommunalités, de Béthune à Valenciennes. Ce projet s’inscrit sur une durée de dix ans pour la réhabilitation des logements sociaux et des logements miniers du territoire.
15- Portrait de Soraya réalisé à Grenay face au terril 58a.
16- Vue du chevalement Ledoux et de la forêt "naissante" sur l'ancienne fosse Ledoux à Condé-sur-l’Escaut.
17- Vue sur une partie du terril 144 situé à Rieulay et Pecquencourt. C'est un terril plat des fosses De Sessevalle et Lemay. Avec ses 140 hectares, il s'agit du terril le plus vaste d’Europe.
18- Murmuration d'oiseaux dans le ciel de Ferfay, à l’ouest du Bassin minier.
19- Portrait de Laureen réalisé à Grenay dans la cité minière numéro 5.
20- Vue depuis le sommet du terril 94 de Noyelles-sous-Lens. Au loin se dessinent les terrils de Harnes et d’Estevelles.
21- Vue sur un cygne de l'étang du brochet à Harnes. Ce plan d'eau s'est formé suite à l'affaissement des sols causé par l'extraction du charbon.
22- Vue sur une partie du terril 94 de Noyelles-sous-Lens.
23- Voltige sur le terril 101, dit Lavoir de Drocourt, situé à Hénin-Beaumont. Terril tabulaire de l'ancien Lavoir de Drocourt. Prise de vue réalisée avec Thibaut, voltigeur et sportif pratiquant les arts martiaux mixtes à Avion.
24- Vue sur un arbre (boulot) poussant sur le terril 144 situé à Rieulay et Pecquencourt. Avec ses 140 hectares, il s'agit du terril le plus vaste d’Europe.
25- Papillon sur le terril 144 situé à Rieulay et Pecquencourt.
26- Portrait de Thibaut sur le terril 101, Lavoir de Drocourt, situé entre Hénin-Beaumont et Rouvroy. Terril tabulaire de l'ancien Lavoir de Drocourt. Thibaut habite à Avion.
27- Vue sur une forêt de boulots à Wallers, espace néo-naturel du terril 171.
28- Plan d'eau aux abords du parc des îles, au sud de l'agglomération d’Hénin-Carvin.
29- Portrait de Ali réalisé à Oignies.
30- Terril 74B de Loos-en-Gohelle. Ce terril est en cours d'exploitation pour son schiste rouge et noir.
31- Vue sur une partie du terril 94 de Noyelles-sous-Lens.
32- Terril 13, 3 d'Auchel Est, situé à Lozinghem. Ce terril a été alimenté par la fosse numéro 3 - 3 bis - 3 ter des mines de Marles sur le territoire d'Auchel. Il s'agissait d'un terril conique haut de 83 mètres qui a été exploité, il n'en reste plus que l'assise sur 7,2 hectares.
33- Vue sur le terril 101. Pied de l'ancien téléphérique du lavoir central de Drocourt.
34- Vue sur le terril 101, dit Lavoir de Drocourt situé entre Hénin-Beaumont et Rouvroy.
35- Portrait de Bernard réalisé dans la cité minière Heurteau à Hornaing.
36- Végétation aux abords du terril 87. Ce terril a été alimenté par le lavoir d'Hénin, et la fosse numéro 2 - 2 bis des mines de Dourges.
37- Terril 144 situé à Rieulay et Pecquencourt, Avec ses 140 hectares, il s'agit du terril le plus vaste d’Europe.
38- Vue sur un champ de colza er sur le site de l'ancienne centrale thermique à charbon de Bouchain mise en service en 1970. Le site a été rénové en 2015 pour laisser place a une centrale thermique au gaz naturel.
39- Portrait de Ahmed réalisé au lac de la Glissoire à Avion.
40- Végétation aux abords du terril 87, dit Sainte-Henriette. Ce terril a été alimenté par le lavoir d'Hénin, et la fosse numéro 2 - 2 bis des mines de Dourges.
A bout de souffle
Projet réalisé en 2022 grâce au soutien de la grande commande photographique "Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire" portée par la Bibliothèque nationale de France et le Ministère de la Culture.
Terre des Hommes
Ce travail de Jean-Michel André pourrait s'inscrire dans ce que l'on appelle communément aujourd'hui la photographie “de l'après”. En somme, une photographie des conséquences, des séquelles et des traces d'un événement dans des lieux ou un territoire identifiés.
En l'occurence dans sa série photographique, le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais marqué par les guerres, la révolution industrielle, l'immigration économique, le travail des mineurs puis le chômage lorsque l'exploitation des mines cessa...
... Et de tout cela (qui appartient à notre histoire toute proche), des vestiges, des traces dans les paysages et les visages.
D'emblée, se pose la question de sa responsabilité en tant que photographe car Jean-Michel André n'ignore pas la complexité des rapports entre l'image photographique et la mémoire collective. En effet, comme l'écrit si justement David Campany, “la photographie peut-être l'auxiliaire de la mémoire, mais aussi faire obstacle à la compréhension du passé.”[1]
Ici donc, il y eut des vies de courage. De la solidarité et de la fraternité, des souffrances et des drames aussi. Mais de qui, de quoi les terrils, ces montagnes érigées par des hommes, sont-ils vraiment les traces... maintenant que tout est fini, passé ?
Et surtout, qui vit LÀ aujourd'hui ? Comment vit-on LÀ aujourd'hui ?
Quels possibles inventer dans cet après qui n'en finit pas de finir ?
Voilà les questions que Jean-Michel André se pose depuis son arrivée dans les Hauts-de-France en 2013 après avoir beaucoup “navigué” d'un pays, d'un continent à l'autre et, traversant des frontières, s'être laissé traverser par d'autres mémoires, d'autres cultures au fil de ses rencontres.
Au delà des réponses apportées par les institutions politiques, économiques et sociales, la photographie l'amène ailleurs. C'est à dire tout près, au cœur même du bassin minier.
Ce territoire, il l'arpente. Ces paysages, il en fait l'expérience. Une expérience concrète des lieux et des chemins qui nous sont devenus communs. De saison en saison, il approche les terrils, les chevalements, les centrales électriques, il s'égare dans les champs et marche dans les villages.
Neige de l'hiver, pluies du printemps, soleil de l'été, nuages de l'automne, il recherche la vibration de la lumière dans les paysages sans nostalgie ni concession. Chaque lieu, chaque moment a l'intensité du (re)nouveau. A l'image du saut de l'ange de Thibaut qui nous indique – tête en bas, pieds en l'air – à quel point il faudrait renverser la table, changer la donne et peut-être même... “effacer les traces” comme il est dit dans le premier refrain du Manuel pour habitants des villes de Bertold Brecht.
Ici donc, ni commémoration ni dénonciation... ni même remémoration. Être là. Être avec.
Faire face et faire surgir ce qui fait l'âme de ce territoire : une terre d'accueil où l'on vient, où l'on s'installe, que l'on traverse aussi. Un coin de France où l'âpreté de la vie s'adosse aux flans des terrils.
Ici, il y a des vies de courage dans cette terre des hommes.
Ils et elles s'appellent Lisa, Soraya, Laureen, Thibaut, Ali, Bernard et Ahmed. Et je peux l'écrire sans complexe : chacun de leur regard me va droit au cœur parce que Jean-Michel André fait d'abord et avant tout, droit à l'image — loin de la surcharge et des facilités médiatiques.
Car j'imagine que pour lui, faire surgir des images à la lumière du monde, c'est comme extraire du charbon de la terre : c'est un travail de fond, si je peux dire.
Jean-Baptiste Guey
[1] David Campany, " Pour une politique des ruines : quelques réflexions sur la " photographie de l'après " ", in L'image-document, entre réalité et fiction, Paris, Le Bal / Images en manœuvres, coll. Les carnets du Bal 01, 2010, p.48-67 ; traduction de : "Safety in Numbness", in Where Is the Photograph? David Green éd., Brighton, Photoworks/Photoforum, 2003.